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Soudan : la menace d’un massacre plane à El-Fasher alors que le combat final pour le Darfour est imminent

Les paramilitaires des Forces de soutien rapide assiègent la capitale de l’État du Darfour du Nord, où un million de civils se retrouvent pris au piège
Une salle bondée dans un hôpital d’El-Fasher, dans la région du Darfour du Nord, au Soudan (AFP/MSF)

Des experts soudanais et internationaux mettent en garde contre un massacre qui pourrait générer « des pertes à l’échelle d’Hiroshima et de Nagasaki » dans la ville d’El-Fasher au Darfour, encerclée par les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR).

Les quelque un million de civils vivant à l’intérieur de la capitale de l’État du Darfour du Nord ne disposent désormais d’aucune issue claire, ce qui signifie que la ville pourrait devenir une « zone de mise à mort » en cas d’attaque.

Les Forces armées soudanaises (FAS), en guerre contre les FSR depuis le 15 avril 2023, conservent le contrôle d’El-Fasher, la seule ville entre leurs mains dans la région étendue du Darfour, dans l’ouest du Soudan.

Étant donné que les FSR contrôlent toutes les routes menant à El-Fasher, l’armée a dû équiper ses nouvelles recrues via des largages aériens. Alors que la bataille finale pour le Darfour semble imminente, les unités de l’armée s’attendent à un combat à mort.

Les observateurs affirment que les FSR déplacent des armes lourdes dans la zone. Des sources à El-Fasher ont déclaré que les paramilitaires pillaient les marchandises introduites dans la ville. Les mouvements de troupes des FAS suggèrent que les FSR disposent déjà de combattants dans la partie orientale de la ville.

Au cours des quinze derniers jours, les FSR ont mis à feu au moins onze villages de la campagne avoisinante dans le Darfour du Nord. Les villageois ont été contraints de fuir vers la ville, ce qui signifie que toute la population de la région s’y trouve désormais.

La situation est exacerbée par la présence du plus grand camp de personnes déplacées internes de la région, Zamzam, situé à seulement 12 km de la ville.

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La route entre les combattants des FSR et la ville passe par le camp, lequel abrite des centaines de milliers de personnes, dont beaucoup appartiennent aux ethnies non arabes ciblées par les FSR depuis le début de la guerre.

En avril, le Centre Raoul Wallenberg a indiqué qu’il existait des « preuves claires et convaincantes » que les Forces de soutien rapide commettaient un génocide contre des « groupes non arabes » au Darfour. La communauté noire des Massalit a été particulièrement visée.

Des sources sur le terrain ont indiqué à Middle East Eye que Zamzam était protégé par les forces de Minni Minnawi, ancien chef rebelle et gouverneur du Darfour qui combat désormais aux côtés de l’armée.

Sur le million de personnes estimées à El-Fasher, environ 700 000 sont des déplacés internes. Plus de 8 millions de Soudanais ont été déplacés par la guerre.

Ancien centre dynamique pour les militants et autres défenseurs des droits de l’homme, El-Fasher possède également le seul hôpital qui traite les survivantes des violences sexuelles survenues depuis le début de la guerre.

« Mort, faim, soif »

Tagaldeen, un habitant du camp de déplacés d’Abou Shouk à El-Fasher, a déclaré lors d’un point de presse d’urgence en ligne auquel Middle East Eye a participé qu’il avait répertorié 38 cas de véhicules arrêtés et saccagés par les FSR.

Il indique que le prix du carburant à El-Fasher a plus que doublé, ce qui aura un impact catastrophique sur la disponibilité de l’eau potable dans la ville. Environ 95 % de l’eau potable d’El-Fasher dépend de générateurs fonctionnant au fioul.

« Cette situation peut potentiellement générer des pertes à l’échelle d’Hiroshima et de Nagasaki »

- Nathaniel Raymond, université Yale

« Les FSR menacent les citoyens de mort, de faim et de soif », déclare Tagaldeen, qui tait son nom de famille pour des raisons de sécurité. « Le personnel médical a fui la ville, laissant les patients sans personne pour les soigner. Beaucoup sont déjà morts à cause de ça. »

Nathaniel Raymond, directeur exécutif du laboratoire de recherche humanitaire de l’université Yale aux États-Unis, qui suit de près le conflit, souligne trois circonstances principales qui pourraient entraîner un très grand nombre de morts de civils à El-Fasher.

Les civils pourraient mourir en raison du manque d’aide humanitaire, notamment de nourriture, d’eau et de médicaments ; ils pourraient perdre la vie dans les tirs croisés ; ou bien ils pourraient être directement visés par les FSR.

« Nous avons une ville sur le point d’être assiégée », a déclaré Nathaniel Raymond lors du briefing. « La situation des habitants d’El-Fasher va probablement s’aggraver considérablement dans les heures et les jours à venir. Les civils ne disposent pas d’une issue de secours claire. Nous appelons cela une kill box [zone de mise à mort]. »

Nathaniel Raymond estime que le risque d’atrocités massives et de meurtres ethniques ciblés est « inévitable » et que la situation « s’aggravera considérablement » dans les prochains jours et semaines.

« Je veux être clair sur ce point. Les attentats du 11 septembre [2001 aux États-Unis] ont fait 3 000 morts. Il y a eu 40 000 victimes civiles à Gaza. Cette situation [à El-Fasher] peut potentiellement générer des pertes à l’échelle d’Hiroshima et de Nagasaki. ». Les bombes atomiques américaines qui ont explosé au-dessus des villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki en août 1945 ont tué environ 215 000 personnes.

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Mercredi dernier, les États-Unis ont appelé à « une cessation immédiate des attaques à El-Fasher » et condamné les « bombardements aériens aveugles dans la région » menés tant par les FSR que par l’armée.

Et lundi, l’ambassadrice américaine aux Nations unies, Linda Thomas-Greenfield, a averti qu’un « massacre à grande échelle » pourrait avoir lieu dans la ville. « Ce n’est pas une conjecture. C’est la dure réalité à laquelle sont confrontés des millions de personnes », a déclaré la diplomate à la presse à la suite d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU.

Hala al-Karib, directrice régionale de l’Initiative stratégique pour les femmes de la Corne de l’Afrique (SIHA), compare les événements qui se déroulent à El-Fasher à ceux d’El-Geneina, la capitale de l’État du Darfour-Occidental, où les FSR et des milices arabes alliées ont massacré la population massalit, laissant les rues de la ville jonchées de cadavres.

« Il est tout à fait malheureux que nous soyons confrontés à la même situation que celle qui s’est produite à El-Geneina. Nous ne pouvons rien faire d’autre qu’attendre et anticiper ce qui va se passer », déplore-t-elle, qualifiant la situation de « massacre en devenir ».

Hala al-Karib pointe également le soutien que les FSR reçoivent de la part des Émirats arabes unis, leur principal parrain, et pense que les paramilitaires se concertent étroitement avec les Émiratis.

Les FSR ont par le passé déclaré à Middle East Eye qu’elles ne recevaient aucun soutien de la part des Émirats arabes unis, malgré de nombreuses preuves de l’existence de routes d’approvisionnement entre eux, y compris tout récemment.

Traduit de l’anglais (original).

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